L’épidémie de coronavirus que traverse le pays et plus généralement le monde, a bouleversé l’économie. Les établissements recevant du public non indispensables à la vie de la nation ont été contraints de fermer, et les déplacements des citoyens ont été très limités pendant plus de deux mois.
Le secteur du tourisme a été particulièrement affecté par cette crise. Toutefois, tous les types d’établissements n’ont pas été frappés des mêmes mesures de fermeture administrative.
Dans ces conditions, tous les gestionnaires de résidence de tourisme ou presque, annoncent suspendre, annuler ou décaler le paiement des loyers commerciaux aux propriétaires.
Les annonces gouvernementales mêlées à la profusion de textes liés à la crise entraînent des confusions. Mais qu’en est-il réellement d’un point de vue juridique ?
Les gestionnaires font état d’une situation supposée de force majeure et/ou de circonstances telles qu’ils ne pourraient assurer leurs obligations contractuelles, en se référant parfois également aux déclarations politiques.
En premier lieu, les déclarations politiques n’ont pas valeur juridique, et elles sont d’ailleurs plutôt infirmées par les diverses réglementations intervenues depuis le 14 mars dernier.
Mais quels éléments juridiques les gestionnaires de résidence de tourisme pourraient-ils invoquer ?
La situation des résidences de tourisme au regard des textes parus depuis le 14 mars dernier:
Le gouvernement a décidé de fermer les lieux recevant du public non indispensable à la vie de la Nation afin de ralentir la propagation du virus sur le territoire.
Deux arrêtés ont été pris les 14 mars et 15 mars 2020 afin d’établir la liste de ces établissements devant restés fermés jusqu’au 11 mai 2020.
Les résidences de tourisme ne semblaient pas être impactées par les mesures de fermeture administratives imposées par l’Etat.
Toutefois, le décret n°2020-548 du 11 mai 2020, modifié par le décret n°2020-604 du 20 mai 2020, portant notamment sur les mesures liées au déconfinement, est venu compléter les mesures précédemment prises.
Depuis la publication de ce dernier décret, il est clairement spécifié que les résidences de tourisme devaient être fermées pour une durée provisoire, laquelle a pris fin le 2 juin 2020.
En effet, l’article 41 du décret n°2020-663 du 31 mai 2020 précise qu’en zone verte les résidences de tourisme sont de nouveau autorisées à recevoir du public dans le respect des dispositions qui leur sont applicables et des règles fixées par le présent décret.
En zone classée orange, ces établissements ne sont toujours pas autorisés à recevoir du public.
Par ailleurs, par ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, le gouvernement prévoit des conditions spécifiques équivalent à un report des loyers commerciaux pour les entreprises éligibles au fond de solidarité et ce pour une période allant du 12 mars jusqu’à deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Les gestionnaires de résidence de tourisme n’étant pour la grande majorité pas éligibles à ce dispositif, cherchent des moyens relevant du droit commun pour s’exonérer de leurs obligations contractuelles et notamment du paiement des loyers.
Si de tels moyens existaient en l’espèce, le gouvernement n’aurait pas mis en place un statut dérogatoire à destination des micro entreprises.
Quel sera donc l’impact de ces mesures sur le paiement des loyers dus aux propriétaires ? Quels arguments les gestionnaires pourraient-ils soulever ?
La force majeure :
Selon notre analyse, nous ne sommes pas en situation de force majeure, les critères de cette notion juridique n’étant pas réunis en pareille situation.
La force majeure est caractérisée lorsqu’un événement échappe au contrôle du débiteur : l’événement survenu doit être imprévisible, irrésistible et extérieur.
S’agissant du Covid-19, sous réserve des clauses insérées dans le contrat de bail, tout porte à croire qu’il représente un élément extérieur et imprévisible lors de la conclusion du contrat.
En revanche, le critère de l’irrésistibilité de la situation actuelle (c’est-à-dire l’impossibilité absolue pour l’exploitant de faire face à son obligation) fait ici défaut, en l’absence d’éléments chiffrés.
En effet, l’exploitant devrait démontrer qu’il est dans l’impossibilité absolue de faire face à son obligation en termes de trésorerie. Cela suppose donc qu’il communique la situation comptable de la résidence et de son entreprise.
Il n’y a donc juridiquement aucun motif justifiant l’annulation du paiement des loyers sur le fondement de la force majeure, étant rappelé, pour ce qui concerne le 1er trimestre, que les résidences étaient ouvertes et normalement exploitées jusqu’au 15 mars dernier.
S’agissant du report du paiement des loyers, certains gestionnaires pourraient être concernés par les réglementations dérogatoires et notamment par l’ordonnance ayant mis en place l’interdiction de poursuites en l’absence de paiement des loyers, mais cela ne devrait concerner que peu de résidences compte tenu des critères retenus par le gouvernement (il s’agit des critères pour les entreprises éligibles au fonds de solidarité).
Dans divers cas, la jurisprudence a ainsi estimé que la force majeure ne s’appliquait pas :
- la maladie du débiteur ne rend pas impossible le paiement des loyers et ne caractérise pas un cas de force majeure, le débiteur pouvant payer le créancier par une autre source de financement que celle de son activité ( Com. 16 septembre 2014, n°13-20.306).
- Il a été jugé que lorsqu’un fonds de commerce est inexploité par suite d’une mesure de fermeture prise par l’autorité administrative, cette inexploitation ne peut pas être attribuée à un cas de force majeure (CA Paris, 31 janv. 1985 : Loyers, avr. 1985, n° 166).
En conclusion, il semble peu probable que la force majeure puisse être reconnue et permette aux gestionnaires de suspendre ou de s’exonérer de leur obligation de payer les loyers commerciaux.
L’exception d’inexécution :
Certains gestionnaires de résidences de tourisme tendent à suspendre, voire à s’exonérer du paiement des loyers commerciaux en invoquant l’exception d’inexécution.
En effet, les articles 1219 et 1220 du Code Civil prévoient la possibilité pour une partie de suspendre ses obligations contractuelles dès lors que l’autre partie n’exécute plus son obligation.
Si un bailleur n’est plus en mesure de mettre le local à disposition du locataire, ce dernier n’est plus contraint de payer les loyers. Mais le locataire est également tenu d’exploiter le local. Dans les deux cas, il faut que l’inexécution soit imputable au cocontractant et que cette inexécution soit totale.
Un locataire ne peut invoquer l’exception d’inexécution que si la jouissance du local est rendue impossible et à condition que cette impossibilité soit imputable au bailleur (Civ. 3e, 3 mai 2006, n°05-12.995). C’est le cas notamment d’un arrêté de péril, qui peut être imputable au défaut de travaux et d’entretien à la charge du bailleur.
En l’espèce, les résidences de tourisme sont contraintes de fermer pour quelques semaines. Auparavant, elles pouvaient rester ouvertes à condition de fermer les espaces communs (piscine, salles de sport, salons communs etc.).
Le bailleur n’est donc plus en mesure de mettre à disposition le local, mais le locataire n’est plus en mesure d’exploiter. Les deux parties se retrouvent alors dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations respectives mais en raison de contraintes administratives et non de leur fait.
D’autre part, pendant près de deux mois, les gestionnaires pouvaient exploiter au moins partiellement leurs résidences. Ils n’étaient pas face à une impossibilité totale d’exploiter. Les restaurateurs qui ont maintenu une activité de livraison et plats à emporter se trouvent dans la même situation et ne peuvent invoquer de ce fait l’exception d’inexécution.
Dans ces conditions, l’exception d’inexécution semble difficilement applicable à la fermeture d’établissements en raison de la crise sanitaire, ou du moins peu applicable aux résidences de tourisme.
Quand bien même les gestionnaires maintiendraient leur position, ils doivent la notifier aux propriétaires par lettre recommandée avec accusé de réception et justifier de leur impossibilité totale ou partielle d’exploiter les immeubles ainsi que des chiffres d’affaires réalisés avant et pendant la pandémie.
L’imprévision :
Certains gestionnaires pourraient vouloir renégocier le bail en raison d’un changement de circonstances imprévisibles, rendant l’exécution du contrat de bail plus onéreuse pour l’une des parties.
Cette théorie a pour fondement les dispositions de l’article 1195 du Code Civil et permet, en cas de changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat, rendant l’exécution dudit contrat plus onéreuse pour une partie, de demander une renégociation à son cocontractant.
Il convient de préciser que certains contrats de bail prévoient une clause dérogeant à ces dispositions. Elles ne peuvent s’appliquer qu’aux contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016.
Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la théorie de l’imprévision puisse s’appliquer :
- un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat ;
- une exécution devenue excessivement onéreuse ;
- l’absence de faute du demandeur.
Il est manifeste que cette théorie aurait davantage de chances d’aboutir et de permettre une renégociation éventuelle des modalités des baux.
Cela étant, l’exploitant doit justifier auprès du propriétaire à partir d’éléments comptables et financiers précis, de l’impact qu’il subit pour justifier sa position.
Il n’y a, en effet, aucune raison que les propriétaires soient la seule « variable d’ajustement » de la situation, alors que de nombreux établissements financiers ne font preuve d’aucune souplesse concernant les échéances de prêts.
Quelle stratégie les propriétaires peuvent-ils adopter ?
Comme précédemment indiqué, il n’y a pas de raison que les propriétaires aient à supporter seuls le coût de la crise et que les gestionnaires soient délivrés de certaines de leurs obligations contractuelles.
Toutefois, en raison de l’ampleur de cette crise sanitaire se doublant désormais de conséquences économiques importantes, il semble nécessaire de trouver des solutions amiables à même de réconcilier l’ensemble des intérêts en présence.
Le gestionnaire doit faire preuve d’une grande transparence et un dialogue constructif doit s’instaurer.
- Si le gestionnaire est éligible au fonds de solidarité mis en place par le gouvernement, il ne pourra lui être appliqué aucune pénalité en cas de non-paiement des loyers. Il conviendra alors de mettre en place un calendrier d’étalement de la dette dans les mois qui viennent dans le cadre d’un protocole d’accord ;
- Si le gestionnaire envisage de suspendre ou de s’exonérer du paiement des loyers alors qu’il n’est pas éligible au fonds de solidarité, il est du plus grand intérêt des propriétaires de réagir rapidement et avec efficacité, à la suspension/annulation de loyer, parfois sine die et illimitée, annoncée par le gestionnaire.
Il convient tout d’abord de répondre aux courriers que les propriétaires ont pu recevoir de la part de leur gestionnaire en contestant la position de ce dernier.
Les propriétaires doivent rappeler que les loyers sont dus et obtenir des informations très précises sur la situation économique de la résidence et du gestionnaire.
Ce courrier est un premier niveau de réaction indispensable aux courriers des gestionnaires annonçant la suspension du paiement des loyers.
En l’absence de communication de documents comptables par le gestionnaire, il est – par suite – possible de saisir le juge.
En effet, si le gestionnaire use du cas de force majeure ou de sa volonté de revoir les conditions contractuelles, le juge pourra lui ordonner de transmettre aux propriétaires les comptes d’exploitation précis, la situation comptable et économique de la résidence et celle de la société gestionnaire.
Parallèlement, des mesures conservatoires peuvent être prises pour garantir le paiement des loyers.
En outre, il existe très souvent un maillage juridique et financier entre les sociétés de gestion de résidences faisant partie d’un même groupe.
Ainsi, des garanties doivent être offertes aux propriétaires dans le cadre de négociations par différents moyens juridiques.
Le gestionnaire devra également justifier des mesures qu’il entend mettre en place pour préserver les droits des propriétaires et la pérennité de l’exploitation de la résidence.
Enfin, il est indispensable que les propriétaires se regroupent en association afin de réellement peser dans les négociations avec les gestionnaires et/ou déployer les actions juridiques éventuellement nécessaires.
Le Cabinet Denis REBUFAT & Associés avocats aux barreaux de Marseille et d’Aix-en-Provence en droit des affaires et de l’immobilier – résidences de tourisme – se tient à votre disposition pour toute précision et pour vous accompagner.